Après 5 années de mandat en tant que présidente des Scouts et Guides de France, Marie Mullet-Abrassart a prononcé son discours d’au revoir pour la clôture des Journées Nationales, le lundi 18 avril 2022. Il s’adresse à l’ensemble des adhérentes et adhérents du mouvement.
« Après 30 ans de foulard autour du cou, 10 ans en conseil d’administration et 5 ans en tant que votre présidente, je passe le relais ! Et je suis heureuse de pouvoir le faire à un moment où les Scouts et Guides de France vont très bien, ancrés dans leur temps et soucieux de l’avenir. Cet avenir dont nous décidons de nous emparer avec un très beau plan d’orientation « Ensemble, pour le Monde, Libérons nos énergies » que nous avons voté en Assemblée Générale le week-end dernier et qui pose les jalons d’un mouvement optimiste, engagé !
Je passe le relais et je veux pouvoir vous dire MERCI.
Merci à chacun et chacune d’entre vous, chaque rôle, chaque échelon, chaque bénévole et chaque salarié. Merci pour ce que cela m’a apporté de rencontres humaines et de projets dingues. Pour les débats d’idées et les moments de crise que l’on passe ensemble. Pour ce que cela suppose d’écoute et de prise de décision. Pour l’humilité que l’on apprend quand on se trompe. Pour regarder du bord du terrain tous ces éducateurs et éducatrices rirent en déployant un projet éducatif qui fait sens, qui donne du sens, qui porte du sens. Je veux vous dire merci pour avoir eu la chance immense d’emmener une association qui a une telle énergie accrochée au cœur et au corps et qui croit fermement qu’il suffit de le vouloir pour le tenter et le réussir. Et on ne réussit jamais seule. On a réussi tous et toutes ensemble.
Un jour, en Conseil d’administration, Philippe Bancon, Délégué Général de l’époque, terminait son mandat. Il était arrivé en nous disant qu’il nous avait préparé « son testament ». C’est un peu bizarre comme mot, mais il nous laissait avec ses convictions pour le mouvement et pour la suite. Je l’ai relu plusieurs fois depuis et comme je bosse dans une boîte du Cac 40 ce n’est pas tant mon testament que je veux là maintenant vous laisser mais un « Legacy », mot anglais pour dire « Héritage », ça permet d’être moins définitif que testament !
Je crois profondément que le scoutisme est une chance. Et que cette chance nous avons la responsabilité de la semer. Non pas pour se gargariser d’un nombre d’adhérents qui augmenterait significativement mais parce que nous avons la conviction que chaque enfant, chaque jeune, chaque chef/cheftaine, chaque responsable qui devient scout porte quelque chose autour de lui qui participe à ce que le monde soit un peu meilleur.
Ne lâchez rien :
Ne lâchez rien sur la vie démocratique
Chez les Scouts et Guides de France, nous éduquons les enfants à construire leurs décisions, à débattre, à prendre des responsabilités, à tous niveaux, dans tous les lieux de démocratie. C’est notre ADN : apprendre aux jeunes à réfléchir et à s’engager c’est participer à une société qui se choisit, qui décide que chacun fait partie d’un corps social plus grand que lui, plus grand que sa situation personnelle, plus grand que son confort du moment, plus grand que soi. Le scout prend sa responsabilité, il n’attend pas que d’autres passent à l’action. Son engagement se fonde dans sa participation à la vie collective et la vie politique de 2022 a besoin de votre engagement.
Nos valeurs, notre projet, nos activités éducatives font de nous un acteur de la construction d’un monde plus juste, plus apaisé où la fraternité, la protection de l’environnement, le respect de chacun ne sont pas que des mots. Chacun de nos actes de scout, de guide porte cet engagement et ces valeurs. Nous devons porter haut et fort qu’aller voter dimanche prochain n’est pas juste un droit mais qu’il en est un devoir quand tant de personnes en sont privées ou se sont battues pour nous le permettre. Nous devons porter haut et fort que les valeurs démocratiques, européennes, d’intégration et non d’exclusion nous permettent de vivre aujourd’hui dans un pays libre de penser, d’agir, de dire son désaccord. Ce dimanche 24 avril, il me semble que nous ne pouvons pas nous tromper de discussion : ce n’est pas un choix politique et partisan, ce n’est pas dire oui à quelqu’un, c’est poser un choix de société et dire non à un projet qui enferme.
Ne lâchez rien sur la conversion écologique
Le chemin va être encore long alors qu’il nous faudrait accélérer. Il va encore être sinueux alors qu’il faudrait que nous soyons plus vite d’accord sur des actions fortes, pérennes et nécessaires. Il va encore être fait d’aller-retour alors que le temps nous manque certainement. Mais gardez au creux de vos indignations la certitude que l’association des Scouts et Guides de France peut être un catalyseur pour ses 92 000 membres pour réellement changer nos pratiques. Et que même si tout le monde vous dit que les petits pas ne servent à rien, moi j’aime à imaginer que vos pas comptent et qu’ils aident à bouger les lignes d’un sujet qui doit faire attention à ne pas exclure ceux que la conversion écologique n’épargnerait pas. Pensez global, agissez local.
Ne lâchez rien sur l’ouverture à tous de notre mouvement
Nous devons avoir collectivement ce courage d’aller rejoindre ceux et celles qui ne nous connaissent pas et qui bousculeront nos pratiques, qui bousculeront notre manière de vivre, qui nous inviteront humblement à nous souvenir que le scoutisme a été inventé pour eux et que nous voulons participer à l’éducation de TOUS les enfants.
Et c’est exigeant de vouloir s’ouvrir, c’est même loin d’être évident. Ça vient nous chercher là, dans nos tripes, dans nos convictions parfois, dans nos contradictions aussi. Mais c’est ça qui est bon, c’est cela qui nous bouge. Cette ouverture doit se saisir des enjeux de 2022 : si la question LGBT ouvre des terrains de réflexions pour ne pas juste vivre l’accueil mais le dire haut et fort en y mettant des mots, si la place des femmes dans l’Eglise continue de titiller, si l’intégration dans nos maîtrises de chefs non croyants, on trouve ça vraiment cool sur le papier, mais moins quand on doit construire notre fil blanc, alors c’est que ce sont de bons sujets : parce qu’ils viennent nous entrechoquer dans nos certitudes et nos visions et qu’il nous faut bouger et que là, vraiment, nous ne ferons pas que dire que nous sommes ouverts à tous, nous le vivrons, concrètement
Ne lâchez rien sur l’Eglise
Vous faites partie de l’Eglise. Vous êtes l’Eglise. Vous n’avez rien à démontrer, à justifier. L’Eglise c’est ce que nous en faisons, ce n’est pas quelque chose que l’on regarde du bord du terrain ou que l’on quitte quand cela va moins bien. Nous portons une vision de l’Evangile concrète, ancrée dans notre temps, une Eglise que l’on expérimente à chaque fois que l’on célèbre en plein air, à chaque fois que l’on fait découvrir le Christ par notre méthode scoute. Nous ne voudrions pas en être si nous n’avions pas conscience de tout ce que cela nous apporte aussi. C’est exigeant de faire Eglise. Mais c’est enthousiasmant de faire communauté. Notre Eglise c’est ce que vous déciderez d’en faire. Il y a des combats que vous devez prendre : la place des laïcs, la place des jeunes, la place des femmes. Mais vous ne les prendrez pas en commentateurs du match, il va falloir rentrer sur le terrain, tirer et marquer.
Ne lâchez rien, jeunes filles, ne lâchez rien mesdames
Ce n’est pas un combat contre les hommes, ce n’est pas vous construire « contre », c’est avoir la certitude que vous avez mille valeurs et que vous pouvez en faire profiter le monde qui vous entoure. C’est être convaincu que dans l’éducation que nous portons auprès des filles et des garçons elles doivent apprendre à garder leurs rêves et leurs ambitions, qu’elles sont capables de tenir plusieurs rôles à la fois si elles le désirent. La somme de leurs possibles doit être leur décision.
Il ne s’agit donc pas de « tout mener de front » ou d’être « wonder woman ». Il ne s’agit pas d’être parfaite, sans failles, sans moment de fatigue ou des moments où l’on fait moins bien les choses. Mais de vivre ces multiples vies en étant ancrée, confiante d’être là où l’on a envie d’être, avec la certitude que les petites filles, les femmes, n’ont ni à s’excuser, ni à s’empêcher, ni à craindre d’être celles qu’elles ont envie d’être. Ce n’est pas un péché d’orgueil de prendre des responsabilités. C’est un levier magnifique d’impact pour soutenir des convictions que l’on veut voir avancer.
Au début de mon mandat, j’avais assisté au nom du mouvement aux obsèques de Guy Paillotin. Il avait été président des Scouts de France de 1996 à 1999. Cette semaine c’est Pierre Trémeau, président de 1988 à 1996 qui nous quittait. A l’époque, je disais que nous étions chacun(e)s des passeurs, et c’est toujours vrai. Nous sommes des anonymes d’un mouvement plus grand que nous, d’une histoire qui ne peut s’écrire sans nous mais qui n’a pas besoin de retenir nos prénoms pour permettre à des milliers d’enfants d’être des citoyens heureux, utiles, actifs et artisans de Paix. Vous êtes des passeurs, vous êtes des transmetteurs, le mouvement ne peut rien sans vous, les enfants apprennent tellement à vos côtés ! Vous êtes des passeurs d’optimisme, des passeurs de rêves, des transmetteurs de rires. Vous êtes des chrétiens passeurs de joie, une joie simple mais tellement réelle, au creux des moments que vous faites vivre à vos jeunes à chaque réunion, lors des week-ends et des camps, vous êtes des passeurs de scoutisme !
J’ai fait de mon mieux, j’ai donné le maximum à ce mouvement qui m’a tellement appris, j’ai fait des erreurs, j’ai poussé ce qui me semblait juste et aujourd’hui je passe. La suite est entre vos mains, et j’ai confiance, cette méthode est intemporelle et les passeurs nombreux.
Les présidents passent : vous ne connaissiez pas les prénoms de Guy et de Pierre. Je vous souhaite donc d’oublier le mien de prénom, c’est alors que mon mandat aura tout son sens : il vous aura servi, il aura servi notre association, il aura servi le scoutisme chez les SGDF, il aura servi ce en quoi je crois : s’occuper de nos enfants, de leur éducation, de leurs rêves, de la construction de leur personnalité c’est s’occuper de notre société et de notre avenir. Et c’est à l’avenir que je remets aujourd’hui mon foulard. »